Un article co-rédigé par Matthieu Chassagne consultant blockchain et Cédric Nicolas crypto enthousiaste.
Les DAO pour Decentralized Autonomous Organisation (organisations décentralisées et autonomes en français), ont aujourd’hui le vent en poupe et commencent à émerger dans les revues de presse. Mais qu’est-ce qu’une DAO ? Et qu’est-ce qu’elles vont apporter ?
Origine des organisations décentralisées
Les fourmis sont organisées de façon entièrement décentralisée (Bernard Werber). Leur organisation sociale peut-être extrêmement complexe, avec une répartition des tâches et des rôles entre les guerrières, les nourricières, les ménagères de la fourmilière, les éleveuses de pucerons, etc. La reine n’est en aucun cas un chef hiérarchique, elle ne joue que le rôle de procréatrice.
Force est de constater que cette organisation leur a permis de perdurer déjà 700 millions d’années, et passer à travers 2 extinctions de masse, et elles survivront probablement à la prochaine, imminente.
Citons également l’écosystème des abeilles autour des ruches, ainsi que celui des arbres avec les champignons et leur mycélium, les vers de terre ou les termites qui vont s’occuper ensemble de maintenir la fertilité des sols.
Il est donc de notre devoir de tenter d’élaborer des organisations vraiment décentralisées où le pouvoir n’est qu’entre les mains de tous les membres avec un équilibre subtil entre eux.
En observant ces organisations décentralisées on peut en tirer 3 caractéristiques majeures :
- Une organisation décentralisée peut accueillir différentes sensibilités, mais elles sont regroupées en rôles ou en compétences, une unité d’organisation immédiatement inférieure à celle de la collectivité totale.
- Une organisation décentralisée possède un moyen de communication entre ses membres simple, mais universel et surtout à l’épreuve de toute tentative de destruction d’une partie de la communauté. Les fourmis ont leur phéromones et les abeilles leur vol stationnaire, par exemple.
- Une organisation décentralisée a un objectif premier : faire survivre la communauté. Toutes les règles de l’organisation sont centrées sur la résilience du groupe.
Toute organisation possède des fondations naturelles ou à travers des textes fondateurs, mais surtout des valeurs, des usages rassemblant les individus. Ces valeurs et ces usages induisent une volonté de vivre ensemble qui, nous le voyons aujourd’hui, n’est pas facile à mettre en avant pour nos gouvernants ou dirigeants.
Fonctionnement d’une DAO
Le concept de DAO est apparu en 2016 avec le projet TheDAO qui a été le premier du genre. Les DAO s’appuient sur plusieurs technologies déjà existantes, à savoir les smarts contracts (programmes intégrés sur une blockchain permettant de définir des règles communes à tous les participants). Ce sont de parfaits outils d’exécution de contrats entre plusieurs individus. Ces contrats peuvent définir des règles de sécurité, d’authentification et de gouvernance dans un projet. Le système de multi-signatures est idéal lorsque plusieurs parties doivent valider une étape ou des tâches réalisées par exemple. L’approbation de tous est nécessaire pour libérer les fonds.
Curve.fi est une DAO qui aujourd’hui comptabilise plus de 40 Milliards de capitalisation bloqués dans les smarts contracts permettant de rémunérer ceux qui déposent leurs fonds.
Dans un autre registre, le projet constitution DAO dont le but était d’acquérir un exemplaire original de la constitution américaine. Cette opération aura fait monter les enchères de d’environ 20 à 40 Millions de $. Et même si l’opération n’a pas permis d’acquérir le parchemin, c’est en tout cas une première dans l’achat en commun d’un bien historique précieux pour les participants.
Le monde du Web 3 et du travail indépendant
L’internet 1.0 a permis de rechercher et consulter des informations, l’internet 2.0 de produire et partager ces informations et l’internet 3.0 permettra de monétiser et certifier l’information.
Les projets du Web 3 peuvent être de natures très différentes, mais ils ont quelques points communs qui les caractérisent :
- Utilisation d’un actif numérique (token, NFT) représentant la valeur créée par le projet
- Animation d’une communauté répartie en groupes qualifiés d’utilisateurs
- Innovation d’usage
- Association de compétences pour produire de la valeur, souvent créée par les membres de la communauté
Nous l’avons plus ou moins formulé dans notre article Crypto-Nations, les Metaverses seront les nouvelles interfaces d’interactions (réseaux sociaux) où on peut matérialiser tous les éléments de l’environnement avec des NFT et où nous échangerons de la valeur avec les crypto-monnaies. Tout cela est régi soit par des règles centralisées d’utilisation et d’application, soit à travers une DAO qui offre une solution de gouvernance du projet ou de l’environnement.
En parallèle on peut observer un certain nombre de tendances de fond sur le monde du travail.
Comme l’indique l’organisation d’origine belge Smart dont l’objectif est de soutenir les travailleurs indépendants, le lien entre travail autonome et coopération permet d’envisager des formes collectives de travail qui ne soient pas régies par des liens de subordination et des structures hiérarchiques. Il invite à explorer les différents modèles organisationnels que peuvent adopter des collectifs de travailleurs non subordonnés.
L’autonomie du travailleur autonome est liée entre autres au développement de pratiques coopératives avec ses pairs, qui multiplient les opportunités de travailler ensemble. La coopération permet l’épanouissement de l’autonomie dans un cadre collectif, ainsi que l’exercice d’une autonomie collective.
On retrouve cette tendance dans les chiffres de création d’entreprises
2020 | 2019 | Évolution en 12 mois | |
Ensemble des créations d’entreprises | 848 200 | 815 257 | + 4,04 % |
Dont les micro-entreprises | 547 900 (soit 65%) | 502 000 (soit 62 %) | + 9,14 % |
À ce mouvement d’autonomisation du travail, s’ajoute l’érosion lente, mais sensible de la valeur des diplômes au profit de compétences précisément, des soft skills, de la formation continue ou en alternance qui sont en très fort développement partout dans le monde. Les diplômes ont bien sûr toujours une valeur, mais qui est de plus en plus relativisée par rapport à d’autres formes d’acquisition de savoir-faire. De plus en plus d’entreprises, y compris des très importantes, ne demandent plus nécessairement d’avoir des diplômes pour être recruté. La capacité de s’auto former a été décuplée par les formations en ligne (MOOC) et les vidéos de Youtube. Les compétences concrètes acquises lors de précédentes expériences ont tendance à avoir plus de valeur aux yeux des employeurs que le parcours académique. Il est donc essentiel que ces compétences soient acquises et certifiées par d’autres moyens que des diplômes.
La crise sanitaire d’une part, et la récente inflation, en particulier sur les coûts de l’énergie d’autre part, poussent fortement le développement du travail à distance. Les outils de collaboration (Notion, Figma, Miro, etc.) se sont largement perfectionnés pour permettre un travail collectif à distance. Les outils de visioconférence sont en train d’évoluer vers de la réalité virtuelle pour permettre une collaboration bien plus efficace (Google Meet, Facebook WorkRooms, Teams, etc.). Le télétravail, quand il est bien vécu, augmente sensiblement la disponibilité des personnes, en réduisant leur temps de trajet, en donnant de la flexibilité dans les horaires de travail, et permet de ce fait de travailler sur plusieurs projets en même temps.
Les jeunes générations, conscientes de l’enjeu écologique, sont de plus en plus regardantes sur leur employeur, et privilégient les emplois porteurs de sens. Il y a une vraie volonté de participer à des projets vertueux, et en étant indépendant, il est plus simple de mettre en adéquation ses valeurs et ses choix professionnels. Ces générations sont aussi de plus en plus prudentes sur le partage de leurs données personnelles et cherchent des moyens de les monétiser, ayant compris comment les grandes plateformes du Web 2 ont réussi à devenir les entreprises les plus valorisées et les plus globales, au prix de nombreux scandales.
Les nouvelles approches visant à sortir de la dualité bien publics / bien privés vers un triptyque public/ privé / communs, exposé de façon remarquable par Gaël Giraud, offrent un cadre réglementaire bien plus prometteur et respectueux des ressources et des individus rendant le système plus résilient.
Gérer des projets Web3 de façon décentralisée
Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons imaginer un nouveau modèle de collaboration qui prend en compte les évolutions actuelles de la technologie et des modes de travail.
Ce modèle devrait d’abord être un espace de collaboration décentralisé, permettant aux projets qui l’utilisent de créer de la valeur pour leurs communautés. Il doit accueillir différentes parties prenantes à savoir les porteurs de projet, les personnes compétentes pour les réaliser, des investisseurs, des arbitres d’éventuels conflits, et des mentors expérimentés pour piloter la stratégie des projets.
Il doit s’appuyer sur des règles précises de sélection des intervenants, de partage de la valeur, et d’arbitrage des conflits. Ces règles, qui constituent la gouvernance des projets, doivent pouvoir évoluer par un mécanisme de vote qui doit rester le plus possible sous contrôle de la communauté, en évitant la concentration des droits de vote sur un petit nombre de personnes.
Le contexte actuel et la prise de conscience des difficultés à venir, sidèrent les populations qui se sentent spectatrices de ces événements. La globalisation est toujours là avec ses qualités et ses défauts. On sent un retour en arrière qui nous oblige à penser les échanges de valeurs à plus petite échelle et les DAO sont parfaitement adaptées. Si des entrepreneurs, des commerçants, des artisans, des créateurs de contenus, des marques, des associations se rassemblent avec des règles communes, vous maximisez l’énergie de chacun. Vous garantissez la propriété grâce à l’outil des NFT et des crypto-monnaies. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises et ces méta-usages, méta-objets, méta-règles et méta-univers qui adviennent n’ont pas fini de nous surprendre.